Réforme des retraites : « répartir le travail » ou répartir les richesses ?
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Dans son opposition à la réforme des retraites soutenue par une large majorité du pays, la gauche devrait éviter l’argument de la répartition du travail, au risque de tomber dans le piège des libéraux.
Depuis l’annonce du projet de loi reculant l’âge légal de départ à la retraite, le gouvernement ne parvient pas à convaincre la classe travailleuse du bien-fondé de sa réforme. Plus il se défend, plus il convainc les gens de manifester contre sa réforme, à en croire l’évolution des sondages d’opinion. Le ministre Franck Riester s’est même pris les pieds dans le tapis en confiant que la réforme pénalise davantage les femmes dans une interview.
Les arguments donnés dans les entreprises par une large intersyndicale et défendus dans les meetings unitaires des partis de gauche ont contribué au succès populaire de la première journée de grève interprofessionnelle du 19 janvier.
Même la petite musique contre la mobilisation des jeunes ne prend pas, car ils sont désormais convaincus pour beaucoup que la réforme des retraites est aussi leur affaire.
« Répartir le travail » ?
Cependant, parmi tous les arguments très pertinents pour se mobiliser contre le recul de l’âge de la retraite, il y en a un qui semble contre-productif. Celui de la répartition du travail (qui serait en quantité limitée) entre tous et toutes. « Y’a pas assez de boulot dans ce pays ! La seule solution c’est la répartition du temps de travail. »
C’est confondre la très légitime réduction du temps de travail à l’échelle individuelle (32 h par semaine, retraite à 60 ans, etc.) et la très questionnable réduction du travail à l’échelle du pays.
Inconsciemment, cet argument fait le jeu des libéraux pour au moins deux raisons.
Le travail n’est pas un gâteau
Premièrement, aucune loi naturelle ne fait du temps de travail nécessaire (pour satisfaire les besoins sociaux) une quantité limitée et donnée une fois pour toutes. Il ne s’agit pas d’un gâteau à se partager.
Celui-ci n’est d’ailleurs pas identique à la demande de travail du patronat français. Rien ne dit qu’en France il ne peut y avoir que 13,6 millions d’équivalents temps plein dans les entreprises. Cela correspond simplement aux besoins de valorisation du capital du patronat à un moment donné.
Parfois, les capitalistes préfèrent ne pas embaucher pour maintenir la rentabilité escomptée. Ils peuvent même (on le sait bien en France) détruire des emplois utiles au pays si une entreprise n’est pas suffisamment rentable.
C’est d’ailleurs pour cela que le chômage existe. Le capitalisme repose sur l’existence d’une surpopulation relative de travailleurs et travailleuses. Ce que Karl Marx nomme « l’armée industrielle de réserve » du capital. Elle permet aux capitalistes de maximiser leur taux de profit, tout en s’assurant une main-d’œuvre supplémentaire disponible pour répondre à leurs besoins variables ou ponctuels.
Ainsi, la classe travailleuse organisée a plutôt intérêt à refuser aux capitalistes le monopole de la demande de travail. D’où les revendications de création d’emploi et de droits de gestion pour les salariés. C’est bien plus ambitieux que de laisser l’emploi aux mains du patronat et partager entre nous ce qu’il juge bon de maintenir.
Créer des emplois
Deuxièmement, les besoins sociaux exprimés dans les luttes conduisent à demander de nombreuses créations d’emploi, dans le secteur privé comme dans les services publics.
Qui peut dire aujourd’hui qu’il y a assez de soudeurs, assez de mécaniciens, assez de profs, assez de soignants ? Au contraire, partout les manques se font ressentir : pénurie d’électricité cet hiver, pénurie de papier, de verre, de semi-conducteurs, de lits à l’hôpital, de places à l’université, de logements, même le blé, la moutarde, certains médicaments…
Sans noircir le tableau, il paraît évident que la France ne produit pas assez pour subvenir aux besoins les plus élémentaires de sa population et se voit contrainte d’importer à tour de bras.
L’emploi n’est donc pas voué à disparaître. Rien de « productiviste » à dire cette évidence. D’ailleurs, le programme de la Nupes compte une trentaine de mesures pour l’emploi, proposant de créer des millions de nouveaux emplois.
Travailler moins pour mieux vivre, c’est une revendication légitime. Travailler moins pour sauver la planète, c’est une illusion, tant la transition écologique des modes de production mais aussi la lutte contre les inégalités sociales dans le monde demandent d’investir dans l’emploi et la formation.
Même pour les retraites, on a raison de revendiquer plus d’emplois, car c’est plus de cotisations pour le régime.
Partager les richesses
Alors, selon nous, n’y a-t-il donc rien à répartir, rien à partager ? Si ! La lutte contre la réforme des retraites pose en vérité le partage des richesses.
Là où le gouvernement veut faire payer à la classe travailleuse le léger déficit du régime des retraites prévu dans une dizaine d’années, les syndicats de salariés et les partis de gauche proposent d’aller chercher l’argent où il est. C’est-à-dire en créant de nouvelles recettes : faire cotiser les revenus financiers, et faire cotiser davantage le patronat en commençant par revenir sur les exonérations de cotisation.
Il est aussi question de l’augmentation des salaires, en particulier celui des femmes qui subissent un écart de 24 % avec les hommes, ce qui générerait des recettes supplémentaires pour la Sécurité sociale.
Ce principe consiste à financer la sécurisation de tous les âges de la vie (par exemple la vieillesse) par la production de richesses. Au lieu qu’elle serve les intérêts des capitalistes (les profits), elle doit servir les besoins sociaux.
Ajoutons que la lutte en cours n’a rien à voir avec un conflit de générations. Il ne s’agit pas de prendre le travail des séniors pour le donner aux jeunes.
En bref, ce n’est pas une affaire de répartition du travail, mais une affaire de lutte des classes !